Montreal's Quirky Manic Pixie Dream Girl™
“J’aime que tu sois une quirky manic pixie hipster, ça m’ajoute du street cred.”
[Cet essai est paru dans la première édition papier du magazine FemLu, un magasine féministe, en novembre 2020]
Ces mots violents, mots-poignards, sont des mots que j’ai entendu maintes fois. Ils ont défini ma vingtaine. En couple comme célibataire, mon intensité, mes émotions fortes, mon côté troublemaker, mes opinions affirmées, ma non-capacité à me taire, mes fous rires et mon impulsivité ont souvent fait de moi une personne désirée pour un soir, un moment d’évasion.
Je suis une manic pixie. Je suis la fille qui sauvera le protagoniste - toujours blanc - de son désespoir. Je suis la fille quirky, clumsy, overly sensitive, weird sur qui nous projetons des insécurités, des désirs, un monde imaginaire dans lequel nous voulons vivre. Mon identité est reliée à mon image un peu hors norme, alternative et bubbly. Mon apparence physique n’est pas occidentale, rajoutant une couche de stéréotypes exotiques que je n’ai pas demandé.
Le terme manic pixie dream girl est apparu au début des années 2000 pour parler d’une jeune femme qui pousse un homme à découvrir les mystères et les joies de la vie. Elle représente la femme-enfant, celle qui ne grandit pas, unidimensionnelle, ne servant qu’à être disponible et disposée. L’exemple le plus populaire? Ramona Flowers dans Scott Pilgrim vs The World, un film avec un personnage principal problématique ayant marqué des générations d’hommes milléniaux prêts à trouver leur Ramona, fille aux cheveux colorés qui se fait maltraiter par le personnage principal.
Je ne m’en cacherais pas : je suis maladroite, je souris beaucoup trop, je parle beaucoup et je ris énormément. Avant la pandémie, je fumais des cigarettes en face de façades anonymes avec des cool kids qui vivent au son de musique alternative, indie et qui parlent de théories du genre, de féminisme et de politique. Je m’habille de vêtements vintage ou seconde main, j’ai des histoires troublantes, je porte un béret en permanence. Je me suis appropriée une identité unique pour illustrer qui je suis et sortir de ce qui me fait mal.
À travers cette facette unidimensionnelle que plusieurs adorent me donner, je cache chaos et tempêtes de mon passé. Faire partie d’une communauté artistique, lire sans m’arrêter, acheter des vêtements qui ne cadrent pas avec mon âge, écouter de la musique inconnue, écrire en permanence, boire beaucoup plus que la normale, rire beaucoup, avoir des histoires digne d’une mauvaise sitcom, c’est ma façon de cacher mon constant mal-être. Je suis en remise en question constante et je travaille sur mes blessures passées, celles que d’autres m’ont fait et qui sont encore en train de guérir. À travers cette facette unidimensionnelle, quand on se met à me connaître, on me le dit : je suis faite de chaos et de tempête. Je suis belle et attirante, mais mon intensité fait peur. Ma vie, je la vis dans le danger constant des choses. Je me jette sans filet vers l’inconnu pour mieux me faire mal.
Dans tout ça, je me suis souvent sentie comme celle qui devait sauver, une charge que je ne veux pas avoir. Une charge qui m’est souvent associée par des hommes blancs qui se disent woke et qui derrière les portes closes aiment me rappeler que je suis si exotique. Mes partenaires me surnomment kiddo, girl, my little one, à cause du masque pétillant derrière lequel je me cache. Et pourtant, il me faut un seul mot, un seul moment de faiblesse pour qu’ils décident de disparaître de ma vie.
Mon identité de manic pixie dream girl m’a longtemps fait mal. Cette incapacité à être perçue comme une femme, une personne à part entière avec mes troubles, mes chaos, ma tempête identitaire. Puis, c’est en regardant un autre film, Eternal Sunshine of The Spotless Mind, qui est lui aussi reconnu pour mettre en scène une manic pixie avec le personnage de Clementine, que je me suis reconnue. Un monologue que Clementine jette au visage de celui qui la désire m’a frappée en particulier.
"Too many guys think I'm a concept, or I complete them, or I'm gonna make them alive. But I'm just a fucked-up girl who's lookin' for my own peace of mind; don't assign me yours."
Le refus d'être un concept, d'être une idéalisation, cette phase de la part de Clementine m’a ramené à mon propre conflit, mes propres peurs, notamment celle de rester éternellement dans les yeux des autres une femme-enfant, celle qu’on ne veut pas connaitre, celle qui les fait vivre pour un petit moment dans leurs vies si beiges et si insatisfaisantes. Mais je ne suis pas ça : je suis chaos, je suis tempête, je suis un monde. J’ai mes complexités, mes insécurités, et elles sont valides. J’ai mon identité unique. Mon côté hors-norme, attachant, pétillant peut coexister avec mes démons, mon côté sombre, mon côté plus trouble. Je ne suis pas une fille, je suis une femme entière et complète, une personne.
À travers les cataclysmes et l’anarchie constante de ma vie, je me suis revendiquée une identité propre que j’ai construit et qui est plus forte que les projections que certains font sur moi. J’accepte les intempéries qui font de moi la femme que je suis aujourd’hui.
Parce qu’au final, on peut bien m’appeler Manic Pixie Dream Girl. Je me réapproprie le terme et le fait vivre à ma manière. Je ne suis ni unidimensionnelle, ni ici pour faire vivre quelqu’un d’autre. Je suis ma propre Manic Pixie, prête à me faire vivre moi-même.