Je pleure d’être effacée, moi, jeune femme de la diaspora.

Les explosions de Beyrouth m’ont rappelé mes origines, des origines qui ne s’effacent pas.

Mini-moi avec mon grand-père maternel à la maison familiale de Beyrouth, dans Mar Mikhail.

Mini-moi avec mon grand-père maternel à la maison familiale de Beyrouth, dans Mar Mikhail.

Je suis née le 16 février 1991 en plein hiver à l’hôpital du Sacré-Coeur de Montréal.

Ma mère me dit que lorsqu’elle m’a pris dans ses bras, j’ai été le soleil dans ses nuits. Elle, nouvelle immigrante fraîchement arrivée dans un pays qu’elle ne connaissait pas vraiment. Mes parents m’ont donné un prénom symbolique. Yara.

Yara comme la chanson de Fairouz, la grande chanteuse libanaise.

Yara comme le poème de Saïd Akl. Premier poème écrit en Arabe libanais latin — une langue inventée par le poète, poète que je n’aime pas du tout.

Yara comme l’amour que mes parents porte pour leur pays d’origine, pour se rappeler que mes racines prennent dans le Levant, le Croissant Fertile, sur le bord de la Méditerranée, entre montagnes enneigées et mer. Pour me rappeler que dans mes veines coule la sève du Cèdre, ce même Cèdre que Salomon a utilisé pour bâtir son Temple.

Je suis née telle une enfant de la diaspora. Les histoires du Liban me proviennent des bribes et légendes qui font mes parents. Les histoires de bonheur malgré les bombardements et la guerre. Et la guerre, la guerre et la situation économique qui a poussé mes parents à partir et à nous donner mieux et pour eux, se donner une chance d’être mieux.

Je ne me définis pas comme Libanaise. Ni comme Canadienne. Ni comme Québécoise d’ailleurs. Je suis Montréalaise à la base. Je me complais dans mon identité faite autour de ma ville, ville où j’ai grandi et où mes parents ont insisté à nous élever — ma fratrie et moi. Ville où mes parents ont établi leur chez-soi, leurs chez-eux. J’ai grandi autant en français qu’en arabe, le zaatar et le sirop d’érable se côtoyaient sur la table de la cuisine.

Hier, mon identité est revenue. Assise dans le métro, 10 minutes avant une rencontre importante, j’ai appris que des explosions avaient fait des dommages importants à Beyrouth. J’ai eu le temps d’appeler ma mère et de lui demander si tout le monde allait bien, d’entendre un Oui de sa voix ébranlée me disant que leur [mon père et elle] quartier était en lambeaux et de raccrocher pour me mettre en mode travail. Mon sentiment de désespoir n’avait aucune place. J’ai souri, j’ai ri, j’ai fait des blagues et une fois sortie de la réunion, j’ai marché sous la pluie durant une éternité lorsque les messages sur mon cellulaire m’ont rappelé que Beyrouth n’allait pas.

Mes amis disent que je suis un stéréotype de Montréalaise. Je vis à travers mes rencontres, les événements où je vais, mon emploi de créative, mes projets, mon accent typiquement Montréalais. Je parle franglais et je suis impliquée sur toutes les sphères. Plus jeune, je ne trouvais pas ma place dans la communauté libanaise — je ne la trouve toujours pas d’ailleurs. Je savais que j’étais différente des autres Libanais autant que je savais que j’étais différente des Québécois. En vieillissant, je me suis intégrée complètement à Montréal en m’identifiant aux sous-cultures punk, alternative de la ville. Jusqu’à aujourd’hui, mes amis et moi aimons utiliser le terme Mile-End trash pour se définir, pour rigoler. Pourtant, il y a toujours quelque chose pour me rappeler que je ne suis pas d’ici. De part mon prénom, mon nom de famille, jusqu’à mon physique qui ne trahit pas mes origines. Il y a des choses qui ne s’effacent pas.

Hier, j’ai pleuré. J’ai longtemps pleuré. J’ai pleuré et je n’ai pas bougé de mon lit lorsque je suis rentrée chez moi. Je n’ai pas pu arrêter de pleurer lorsque ma mère a confirmé que son quartier avait été détruit, que la maison familiale de ma mère à Beyrouth n’avait probablement pas pu survivre à la force de l’explosion. J’ai commencé à penser aux escaliers de Mar Mikhail et Gemmayze. Mon père raccompagnait ma mère chez elle lorsqu’ils étaient plus jeunes, passaient par ces escaliers qui reliaient leurs deux quartiers. Ces escaliers sont symboliques, ils construisent l’histoire de mes parents. Ils sont immortalisés dans des photos de famille. Je suis passée par ses escaliers quand j’avais 5 ans lorsque je suis allée au Liban pour la seule et unique fois. Les escaliers sont presqu’un personnage dans l’histoire de mes parents, l’histoire qui fait moi, ma soeur et mon frère. Je voulais savoir si les escaliers allaient bien, s’ils étaient encore debout, s’ils étaient détruits.

Les escaliers sont devenus une obsession hier. Je ne voulais pas que les escaliers soient complètement détruits. Je ne voulais pas que cette image claire de mes parents qui les montent et descendent ne puissent plus se reproduire. Ma tête refuse que les escaliers soient détruits. Mon être ne veut pas. Si les escaliers sont détruits, mes racines physiques, matérielles n’existent plus et je sais qu’elles n’existent plus déjà. Elles ont été soufflées, elles sont devenues poussière. Ce qui reste de Gemmayze et de Mar Mikhail n’est plus. Les histoires de mes parents existent dorénavant seulement dans nos têtes, dans leurs récits. Ils ne sont que souvenirs.

Hier, mon identité est revenue au galop. Je souffre. Mon coeur saigne, nos coeurs saignent. Nous sommes frustrés, en colère, enragés, tristes et surtout, effacés. Nos quartiers n’existent plus, nos origines se sont envolées. Je m’enrage en lisant les thoughts and prayers sachant que mes frères et soeurs Libanais.es seront oublié la semaine prochaine, laissés à eux-mêmes face à un gouvernement corrompu, à la famine, à une probable faillite du pays.

Plus encore, je pleure, je pleure de ne pas être retournée, d’avoir été tellement en crise identitaire que je n’ai pas su concilier y aller encore, de ne pas avoir vu les escaliers de mes propres yeux plus vieille, plus grande. Je pleure de ne jamais avoir pu comprendre que le sang du Cèdre coule profondément dans mes veines. Il se réveille dans les situations difficiles, il me berce le soir quand j’entends de l’arabe, il revient quand je suis entourée de mes semblables Libanais, Syriens, Jordaniens, Palestiniens. Il se manifeste quand je suis sur le bord de la Méditerranée, comme si je sentais que j’appartenais à cet endroit précis, que j’étais de retour là où je devrais être. Il bouillonne dans mes veines même si je suis dans un pays d’hiver et de froid. Je pleure de n’avoir que des souvenirs éparpillés de mes origines et pourtant, certains restent.

Lorsque j’ai décidé que je voulais me percer les oreilles, c’était au Liban, à l’âge de 5 ans. Ma tante est revenue du travail — elle venait tout juste de commencer comme journaliste — et ma mère et elle ont décidé de m’amener me percer les oreilles tard le soir. Lorsque finalement, dans un Beyrouth sans électricité, j’ai pu me faire percer les oreilles avec les phares de la voiture de ma tante qui servaient de lumière, j’étais tellement heureuse. Ma tante souriait avec ma mère et c’était bien. C’était tellement bien. Je me rappelle de mon grand-père qui cherchait les manouchés le matin et de la maison de campagne. Je me rappelle de ma mère et de ma grand-mère qui faisaient les kaakés de famille, une recette qui se passe d’une génération à l’autre, en pleine nuit. Je me rappelle de mon arrière-grand-mère, Véronique, qui était toute frêle et toute petite. Je me rappelle surtout de la petite breloque de ma grand-mère. Breloque en forme de planète avec des étoiles qu’elle portait autour de son cou et avec laquelle je jouais sans arrêt. Breloque que je porte aujourd’hui en permanence.

Je pleure les souvenirs qui ne sont plus, le Beyrouth qu’on ne peut plus reconstruire sans arrêt. Mes frères et soeurs là-bas sont épuisés. Je pleure la maison familiale de ma mère, je pleure les escaliers. Je pleure mon identité. Je pleure le fait de m’être réconciliée avec qui je suis et qui je serais, malgré mon éternelle crise identitaire, sans avoir pu voir mes origines une dernière fois, avant une destruction quasi-totale de l’une des plus vieilles villes du monde.

Yara, c’est un poème de Saïd Akl, poète que je déteste, mais c’est un magnifique poème. Yara, c’est toutes les femmes dans la vie d’un homme; la femme, l’amante, l’amoureuse, la fille, la mère, la matriarche, celle qu’il aime de loin. Yara, c’est une femme qui se veut une métaphore pour l’amour du pays. Yara, c’est le Liban. Je porte mon identité dans mon prénom. Identité qui ne me quittera jamais.

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